En introduisant les désherbants dans la viticulture au sortir de la Seconde Guerre mondiale, on ne s’attend pas à ce qu’ils anéantissent l’essence même des appellations d’origines contrôlées, instituées 25 ans plus tôt. Que voulait alors démontrer le principe des AOC ? Qu’en un lieu donné et précis, au sol et au microclimat particuliers, un cépage apporterait un goût authentique, inconcevable ailleurs. Qu’un terroir précis avait un goût propre. 60 ans plus tard, faut-il être bio pour respecter les fondements de l’AOC ?

Le viticulteur de l’époque voit logiquement dans le désherbant que l’industrie lui propose, une aide précieuse à son dur labeur lui assurant un gain de temps et un bouclier pratiquement inviolable face aux champignons, aux insectes ou aux microbes.
Ce que le viticulteur de l’époque omet de voir, c’est que sa vigne vit à partir des micro-organismes et ces derniers vivent et diffèrent en fonction des caractéristiques du micro-climat. En tuant les vies du sol, les désherbants vont progressivement tuer les facteurs nécessaires à la vigne.
Arrive alors la parade de l’homme : l’engrais chimique pour nourrir cette vigne.
Comment ? En la déshydratant.
La vigne ayant besoin d’eau pour survivre, elle va l’emmagasiner à l’excès, provoquant une croissance exagérée donc déséquilibrée; mais la production est là et elle satisfait tout le monde, car tout le monde s’enrichit et le peuple est nourri.
On sort alors de la Seconde Guerre mondiale, l’Europe crève de faim, il faut la reconstruire et tous les agriculteurs (viticulteurs) vont accepter ces produits systémiques, car ils leur permettront de travailler, d’augmenter les rendements, de vendre leur production, donc de survivre.
Sait-on alors qu’on est entrain de faire perdre la mémoire à la vigne ? Qu’on l’oblige à se nourrir par en haut plutôt que par en bas ?
La vigne en oublie les solstices et les cycles solaires quotidiens et la seule défense qui lui reste, c’est la pourriture.
On entre alors dans le cercle vicieux des recherches scientifiques et l’homme, toujours plus avide de conquérir des marchés, lance l’anti-pourriture.
Réaction de la vigne affaiblie : des nouvelles maladies.
Réaction de l’homme : les traitements systémiques !
Ça y est, on y est !  On n’est plus à la surface de la vigne, à son simple contact, on est en elle. On touche la sève. On va enfin pouvoir contrôler son métabolisme.
Et qu’est-ce qu’il y a au bout du parcours ? Le goût !
En contrôlant la vie de la vigne, l’homme va pouvoir contrôler le goût, son goût.
C’est la course aux enzymes et aux levures. Artificielles, bien sûr.
« Tu veux du cassis dans ton merlot ? »
« tiens, voici l’enzyme XYZ. Efficace et sans aucun danger. »
« ah, c’était de la lavande que tu voulais ? »
« Tiens, ça c’est l’enzyme ZYX. À ta prochaine récolte, ton vin rouge sentira la Provence !! »
« Et pour la cuvaison et le travail dans les chais, vous avez des solutions ? Juste au cas où ? »
« Évidemment Monsieur, la technologie aujourd’hui, c’est un jeu d’artifices !! »
Effarant, dites-vous ? Certainement.
La réalité dépasse toujours la fiction.

Bio et biody pour qui veut…

Lorsqu’au début du 20ème siècle, après la crise phylloxérique, le vigneron accablé et ruiné, espère une aide des prémices de la recherche scientifique en viticulture, il ne peut se douter que son petit-fils en viendra à manipuler la vigne, plutôt que de la guider. On ne peut pourtant l’en blâmer. On enfermait alors bien les gens qui prétendaient que l’homme volerait et atteindrait un jour la lune !
Un siècle plus tard donc, une certaine viticulture s’élabore en laboratoire et face à elle, quelques irréductibles vignerons luttent avec un nouveau concept, qui n’a de nouveau ou de moderne que le nom : la biodynamie.
Et qu’est-ce que la biodynamie ?
Simplement le respect du métabolisme de la vigne par le respect de son environnement.
Déjà au Moyen Âge, les moines utilisaient les propriétés médicinales des plantes pour lutter contre les ennemis naturels de la vigne et utilisaient les astres du ciel pour guider les récoltes. Ils avaient compris que seules la vraie lumière, la vraie eau et la vraie terre donnaient une identité, une authenticité à la vraie couleur et au vrai goût du vin.
Au-delà des modes et du commerce, la biodynamie ne repousse pas la technologie, elle écoute d’abord la nature sans la précipiter. Elle utilise simplement les qualités de la nature sans vouloir les épuiser. Les contrariétés rencontrées ne sont pas anéanties, mais étudiées pour connaître les raisons de leur présence, car dans la nature, tout est complémentaire.
Il y a encore 30 ans, on a crié aux fous, aux illuminés du cosmos ou aux écolos anti-progrès lorsqu’une poignée de vignerons suisses et français ont revu leur façon de travailler la vigne.
Curieusement, de grands noms du vin s’intéressent aujourd’hui de plus en plus à la biodynamie et ceux qui en sont devenus adeptes obtiennent de tels résultats, qu’ils deviennent les plus ardents défenseurs de ce mode de culture, inventé dans les années 1920 par l’Autrichien Rudolph Steiner.
Et cette philosophie de viticulture n’est plus seulement européenne avec des locomotives dans la plupart des appellations (Cazes, Chapoutier, Joly, Pujol, Bizes-Leroy, Trapet, Larmandier, Eymann, Granges-Faiss, Palacios, Albet I Noya, Niccolaini ou Eblin-Fuchs), elle est mondiale (Reyneke-Farquharson, Milton, Castagna, Sinskey ou Espinoza) et pour comprendre les résultats de la biodynamie, il vous suffit de goûter à tous ces bons vins… en cliquant sur le lien vers le volet Bio de la SAQ.

Quand la nature vous gagne…

Enfin, au début de ce troisième millénaire, un mouvement est apparu.
Appelons-le Nature puisque c’est le terme employé à travers les vins qui l’illustrent; même si ce terme est désormais galvaudé et utilisé comme une absolution dans les débats entre les vignerons bio et les vignerons non bio…
Rien n’est officiellement déposé avec les vins dits Nature, mais en général, ils sont bio et on a laissé la nature s’arranger avec elle-même, en la guidant le moins possible pour donner des vins qui n’ont pas le goût des autres vins et qui, noeud du problème, ont le goût des vrais vins ! Pour ceux qui les élaborent !
Parce qu’en fait, il est là le problème de la viticulture et de la consommation de ce qui en est issu, aujourd’hui : on boit dogmatique ! Consommer, c’est voter, comme dit l’adage.
On ne demande pas au consommateur s’il aime ce qu’il boit, on lui demande si il sait ce qu’il défend en buvant son verre de vin. Défend-t-il la renaissance de l’agriculture ou défend-t-il la poursuite de l’agriculture industrielle ? On lui demande de choisir un camp !
Il est là aujourd’hui le problème. On boit manichéen !
Si tu bois bio et nature, t’es un gentil; si tu bois pas bio, t’es un méchant. Et si, en plus, tu bois pas nature, t’es un ignorant !
Ben non. Ça ne marche pas comme ça. Désolé.
Je bois bio, je bois pas bio, je bois nature, je bois pas nature. Laissez-moi boire comme je veux.
Et surtout, laissez-moi boire et ne m’emmerdez-pas, en plus, avec votre mois sans boire.
Si je veux crever en buvant pas bio, c’est mon droit. Et comme je vais crever aussi, de toute façon, en buvant bio et nature, arrêtez de me donner des leçons de consommation.
Je bois bio et nature aussi, sans donner de leçon.
Et parce que je trouve cela bon, d’abord, bio ou pas bio !

On est entré dans le siècle spirituel, paraît-il, dans le siècle où les dogmes refont surface pour mieux nous séparer, pour mieux nous diviser.

J’ai toujours pensé que le vin avait été fait pour partager, pour échanger, pour communiquer, pour rire, pour rapprocher, pour accepter.
J’y crois encore…

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