Histoire et évolution des bulles dans le vin

L’effervescence dans le vin

Depuis que l’homme a su élaborer du vin, c’est à dire depuis qu’il a compris qu’en laissant du jus de raisins s’oxygéner, un phénomène qu’on appelle la fermentation se produit, il a constaté l’effervescence.

En effet, quelle qu’elle soit, l’effervescence intervient plusieurs fois au cours de l’élaboration d’un vin. Nous pouvons l’expliquer aujourd’hui grâce aux connaissances modernes, mais pendant des siècles, elle fut une source d’interrogations, voire de craintes. Des témoignagnes calligraphiques et pictographiques de l’Antiquité égyptienne, grecque et orientale nous confirment que l’homme observait ce phénomène, sans pouvoir l’expliquer. On peut penser qu’il ait voulu le contrôler mais, nous savons surtout qu’il a voulu l’enrayer.

Même si entre le XVIe siècle et le XVIIIes siècle, on élabore sciemment du vin « pétulant », il a fallu attendre la fin du XIXe siècle pour comprendre et mieux maîtriser l’effervescence, grâce aux progrés des recherches scientifiques. Aujourd’hui, nous expliquont facilement l’apparition et la disparition spontanées du gaz carbonique lors des étapes de l’élaboration d’un vin, depuis la récolte des raisins sélectionnés jusqu’à son embouteillage.

Or, pendant deux millénaires, ce phénomène étant inexplicable dans toutes les civilisations viti-vinicoles, l’homme a préféré s’en remettre à ses croyances et considérer comme une bénédiction céleste, la disparition spontanée de bulles dans la boisson qu’il préparait. En effet, le plus important était de voir disparaître l’effervescence, car cela signifiait que le vin était bon. Le vinificateur s’attendait toujours à observer un voile de mousse dans ses cuves quelques heures après y avoir pressé les grappes. Puisque ce phénomène était récurrent, on le considérait comme naturel, cependant, la disparition totale de la mousse n’était pas récurrente. Selon les civilisations, l’arrêt du bouillonement était un don de dieux bienfaiteurs alors que sa permanence était considérée comme l’œuvre de démons. On a compris très tôt que la nature et la température des lieux étaient des vecteurs essentiels à une bonne vinification, c’est à dire à la disparition des bulles. Pourtant, quels que soient les contrôles réguliers ou non de ces paramètres, le vin pouvait continuer ou recommencer à «bouillonner». En fait, à cause de la fluctuation de la température entre le moment où le vin était mis dans les amphores, les vessies de peau ou les tonneaux pour être commercialisé et le moment de sa consommation, des levures se réveillaient ou s’introduisaient dans les contenants et entraînaient une nouvelle fermentation, donc l’apparition de gaz.

Jusqu’à la Renaissance européenne, celui qui élaborait et distribuait le vin avait un contrôle sur le consommateur, qu’il soit de masse ou d’élite. En contrôlant l’univers du vin et de l’alcool, les institutions religieuses sauvegardaient leur indépendance politique, protégeaient leur savoir et divulguaient leur message théologique. Il en fut ainsi pour le vin avec les ordres monastiques du VIe siècle au XVIIIe siècle dans toute l’Europe chrétienne.

Au Moyen-orient et en Orient, les médecins des dynasties musulmanes gouvernantes avaient, eux, le monopole de l’élaboration de l’alcool. Il était préférable d’expliquer le bouillonement du vin par la religion puisqu’il ne pouvait l’être scientifiquement. Lorsque la mousse disparaissait, c’était la victoire du bien sur le mal, de Dieu sur le diable. Il était alors plus facile de guider le peuple et de le contenir au sein de la religion officielle.

La première trace de l’effervescence acceptée, vaguement contrôlée et archivée remonte à la première moitié du XVIe siècle. À Limoux dans le Languedoc-Roussillon en France, les moines bénédictins de l’abbaye Saint-Hilaire constatent le maintien de l’effervescence dans leur vin lorsqu’il est mis en bouteille, fermée par un cône de bois. Le moût n’avait pas terminé sa fermentation au moment de l’embouteillage. Une prise de mousse s’effectuait donc dans la bouteille bouchée et elle s’arrêtait par épuisement des levures. Mortes, celles-ci formaient un léger voile. La méthode dite ancestrale est née ainsi. On sait aujourd’hui que ce phénomène, où la fluctuation du froid a son importance, apparaît spécifiquement au mois de mars et est lié au cycle lunaire. Et c’est parce qu’une commande par le seigneur local, Sieur d’Arques, de flacons renfermant supposément du vin qui pétille, est arrivée jusqu’à nous (Archives de Carcassonne), qu’on a donné la paternité désirée de bulles en bouteilles, à la région de Limoux.

Dès lors, l’univers du vin bascule dans une ère nouvelle, celle du vin embouteillé et celle de la bouteille bouchée, d’abord avec du bois, de la suie et du tissu, plus tard avec l’écorce du chêne-liège, car jusqu’alors, le vin s’entreposait et voyageait dans des tonneaux. L’amélioration et l’usage de la bouteille et du liège se systématisent grâce à l’essor des vins effervescents. À la fin du XVIIe siècle, la région champenoise, parce que son climat et son sous-sol y sont plus propices que ceux des autres régions, devient le fer de lance de la pétulance dans le vin. Pendant deux siècles, les moines, les institutions déclarées, puis les industries de Champagne vont travailler à maîtriser, comprendre et améliorer le phénomène de l’effervescence. Les évolutions techniques considérables en matière de vinification au XIXe siècle et au XXe siècle vont alors engendrer plusieurs méthodes pour élaborer du vin effervescent.

Le livre « Champagnes, guide et révélations » s’arrête en détails sur les origines du vin effervescent.

Les types de vins effervescents dans le monde

Le champagne

Ce terme est exclusivement réservé à l’usage de la région de Champagne et définit la méthode de prise de mousse

Le crémant

Ce terme était autrefois réservé à la désignation du « champagne demi-mousse ». Il consacre depuis 1975 en France, les vins mousseux ayant une appellation d’origine. On parle de Crémant d’Alsace, de Crémant de Bourgogne, de Crémant de Limoux, de Crémant de Die, de Crémant de Loire, de Crémant du Jura et de Crémant de Bordeaux et de Crémant de Savoie. En 1992, les règles décrites dans les décrets français ont fait l’objet d’un texte communautaire, lié à la CEE (Communauté Économique Européenne). Le terme crémant fut alors défini au niveau des pays de la CEE. Ainsi sont nés le Crémant du Luxembourg, puis le Crémant d’Allemagne. Ce dernier fut remplacé en 1998 par le terme « Sekt, élaboré selon la méthode traditionnelle (flaschengärung) », toutefois, certaines régions allemandes continuent d’employer le terme crémant.

L’élaboration des crémants doit respecter la méthode traditionnelle.

Le mousseux

C’est un vin qui accuse, en récipient fermé, à température de 20 ° Celsius, une pression de gaz carbonique supérieure à 3 bars. Cette surpression doit provenir exclusivement de la fermentation alcoolique de la cuvée à partir de laquelle le vin considéré est élaboré (après adjonction de la liqueur de tirage).

Dans le cadre de la Communauté Économique Européenne, le règlement précise que la fermentation ne peut avoir lieu qu’en bouteille ou en cuve close.

L’utilisation d’anhydride carbonique dans le cas du procédé de transvasement par contre pression, est autorisée, sous contrôle et à la condition que la pression de l’anhydride carbonique contenu dans les vins mousseux n’en soit pas augmentée.

Les élaborateurs sont obligés de tenir des registres des matières premières des cuvées et d’élaboration.

La durée du processus d’élaboration des vins mousseux de qualité – et des vins mousseux de qualité produits dans des régions déterminées – comprenant le vieillissement dans l’entreprise de production et comptée à partir de la fermentation destinée à les rendre mousseux, ne peut être inférieure à six mois lorsque la fermentation destinée à les rendre mousseux, a lieu en cuve close. Elle ne peut être inférieure à neuf mois lorsque la fermentation destinée à rendre le vin mousseux, a lieu en bouteille.

On parle de Vin mousseux en France, de Vino Spumante en Italie, de Vino espumoso en Espagne, Vinho espumente ou espumoso au Portugal, de Schaumwein ou de Sekt en Allemagne et de Sparkling wine en Angleterre.

Le pétillant

C’est un vin qui accuse, dans un récipient fermé, une suppression comprise entre 1 et 2,5 bars à 20° Celsius. On lui donne des dénominations selon son origine. Vin pétillant pour la France (Val de Loire et Bugey-Cerdon),Vino frizzante pour l’Italie, Vino con aguja pour l’Espagne, Vinho frisante pour le Portugal, Perlwein pour l’Allemagne, Perlwine ou Pearlwine pour l’Angleterre.

Il peut être élaboré comme les vins mousseux, soit par seconde fermentation en bouteille, soit en cuve close.

Le perlant

C’est un vin en bouteille qui contient plus de 1 gr/l de gaz carbonique et dont on constate, au-dessus de 20 ° C, l’apparition de bulles au moment du débouchage.

Les 7 méthodes de vinification des vins effervescents

La méthode rurale (ou ancestrale)

Cette méthode est la plus ancienne et la plus naturelle. On élabore un vin blanc tranquille, de façon classique, tout en arrêtant sa fermentation alcoolique. Le sucre du raisin ne sera pas complété en phase finale d’élaboration par du sucre provenant d’une autre source. On réfrigère le vin à 0 degré après l’avoir filtré, puis on le stocke à cette même température jusqu’au printemps qui suit la vendange. Le vin est alors mis en bouteille sans liqueur de tirage, sans levures sélectionnées et poursuit alors sa fermentation en dégageant du gaz carbonique, par épuisement des levures indigènes qui ne sont pas éjectées. On ne procède pas au dégorgement, ni à l’adjonction d’une liqueur de dosage.

La méthode traditionnelle

Cette méthode est celle des champenois, elle est aussi utilisée dans plusieurs régions dans le monde sous un vocable contrôlé (Cap Classic, Metodo Classico, Sekt flaschengärung, etc).

Après l’élaboration d’un vin de base tranquille, la transformation en vin effervescent se fait en bouteilles. On procède au tirage, c’est-à-dire la mise en bouteille du vin de base, additionné de sucre, de levures et d’adjuvants de remuage. Cette fermentation en bouteille est appelée «prise de mousse», elle entraîne la disparition du sucre, la formation d’alcool, la production de gaz carbonique et la formation d’un dépôt.

Suivent alors l’élevage et le remuage. Les bouteilles sont entreposées à basses températures (5 à 13 degrés) durant plusieurs mois selon les règlements en vigueur de l’appellation. Le remuage consiste à clarifier le vin par rotation des bouteilles, qui sont entreposées à l’envers, le goulot vers le sol, dans une inclinaison progressive. C’est-à-dire qu’on rassemble le dépôt dans le col de la bouteille. Si, autrefois, le remuage de toutes les bouteilles se faisait manuellement sur pupîtres, il est aujourd’hui conduit au moyen de gyropalettes, à l’exception de certaines cuvées des grandes marques, des cuvées dites de prestige. Le gyropalette est un casier de métal pouvant contenir autour de 500 bouteilles retournées qui, grâce à un mouvement de rotation et de basculement, permet aux levures de progresser lentement vers le goulot.

On procède ensuite à la phase de dégorgement, soit l’expulsion de ce dépôt de levures mortes. On congèle ce dernier en trempant quelques secondes le goulot de chaque bouteille dans un bain de saumure à – 25 degrés, puis on la retourne en la décapsulant simultanément. La pression contenue sous la capsule de levures gelées exerce une poussée qui l’éjecte immédiatement.

Enfin, la phase de dosage va déterminer la nature du vin : c’est l’addition de la liqueur dite de dosage ou d’expédition, qui est un mélange de sucre de canne pur ou d’un moût concentré rectifié (MCR), qui établit la catégorie Brut, Extra dry, Sec, Demi sec ou Doux. Le bouchage, le museletage et l’habillage sont les phases finales de l’élaboration du vin.

La méthode en cuve close (Martinotti ou Charmat)

Cette méthode utilise le même principe que la méthode traditionnelle, mais les bouteilles sont remplacées par d’énormes cuves. Après l’élaboration classique du vin de base, la prise de mousse s’effectue dans des cuves closes spéciales, en acier ou en métal, élaborées pour résister à la pression. Ces cuves disposent de système de sécurité et de réfrigération qui permettent un contrôle optimal de l’activité des levures et du dégagement gazeux. Lorsque le vin est effervescent, on le transfert dans des bouteilles après un passage dans une seconde cuve et une ultime filtration dite tangentielle, puis on procède au dosage. On procède enfin au bouchage et au museletage.

La méthode Dioise

Cette méthode est la même que la méthode rurale, car le sucre du raisin sera le même en phase finale d’élaboration, mais les levures de tirage sont sélectionnées et l’on procède à un transfert après un arrêt de la prise de mousse par réfrigération. Pendant que les bouteilles sont rincées, le vin est transféré dans des cuves isobarométriques. Le vin subit une filtration dite tangentielle, c’est à dire qu’il ne traverse pas entièrement le filtre (membrane) et subit encore un épurement. Il ne reçoit de liqueur de dosage avant d’être embouteillé. On procède enfin au bouchage et au museletage.

La méthode continue (ou russe)

Cette méthode propose une prise de mousse particulièrement lente et une transformation du vin continuelle toujours en cuve jusqu’à son embouteillage sans dégorgement et sans dosage. Le vin de base est dosé en sucre au fur et à mesure de ses filtrations et de ses clarifications, il circule dans une série de cuves réfrigérées en fermentation continue. La particularité de ces cuves est qu’elles contiennent des bagues sur lesquelles se déposent les levures mortes qui fermentent le vin. Ces cuves peuvent également contenir des copeaux de bois qui enrichissent le vin. Au moment du soutirage, du transfert du vin devenu effervescent dans une énième cuve, les levures mortes, les sédiments sont pratiquement absents. On procède alors à une phase de stabilisation du gaz. La mise en bouteille s’effectue avec un système isobarométrique qui permet de corriger le dosage du vin. Le bouchage et le museletage suivent cette dernière phase.

La méthode par transfert

Cette méthode présente les mêmes caractéristiques que la méthode traditionnelle, mais il n’y a pas de remuage et de dégorgement, car les bouteilles sont vidangées dans une cuve isobarométrique (qui permet de garder la même pression), après la prise de mousse. Le vin subit une filtration tangentielle et reçoit ensuite la liqueur de dosage, puis il est remis dans les bouteilles qui, entre temps, ont été rincées. On procède enfin au bouchage et au museletage.

La méthode par gazéification

Cette méthode donne des vins dont le gaz carbonique est exogène, il n’y a donc pas de prise de mousse. Le vin de base subit des phases de stabilisation, de sucrage, de filtration et de réfrigération avant l’introduction du gaz qui provient d’une autre cuve.

Il est envoyé dans un saturateur dans des proportions calculées en fonction du taux de sucre contenu dans le vin. Le gaz se dissout tout en se comprimant. Le vin est alors embouteillé grâce à une tireuse isobarométrique. On procède enfin au bouchage et au museletage ou au capsulage.